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Publicité politique : comment le règlement européen 2024/900 bouleverse la collecte de données et la communication ciblée

Publicité politique : comment le règlement européen 2024/900 bouleverse la collecte de données et la communication ciblée — et pourquoi Meta a décidé de se retirer

Le 13 mars 2024, l’Union européenne a adopté le règlement (UE) 2024/900 — plus connu sous le nom TTPA pour Transparency and Targeting of Political Advertising Regulation. Son application intégrale est prévue pour octobre 2025, mais ses effets se font déjà sentir : campagnes anticipées, acteurs techniques sur la défensive, et — fait majeur — retrait annoncé des géants comme Meta de l’écosystème publicitaire politique européen.
Ce règlement complète le RGPD et le DSA, mais avec un focus précis : encadrer la publicité politique, notamment le ciblage par données personnelles, pour limiter la manipulation électorale et restaurer de la transparence démocratique.
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Ce que change le règlement 2024/900 pour la communication politique
1) Un périmètre très large de ce qui est « politique »
Le texte ne vise pas seulement les partis, mais tout contenu publicitaire visant à influencer un vote, un référendum, une opinion sur une question politique sensible, même indirectement. Cela inclut donc :
• annonces d’ONG pendant une campagne référendaire,
• campagnes d’influence sur des politiques publiques,
• contenus sponsorisés par des acteurs privés pour peser sur un débat.
Cette définition large déclenche des obligations lourdes dès qu’un message est classé “politique”.

2) Transparence obligatoire dans chaque annonce
Tout message qualifié de publicité politique devra comporter :
• l’identité du financeur,
• le montant ou fourchette du financement,
• l’objectif (quel scrutin/sujet),
• les critères de ciblage utilisés.
En filigrane : impossible de diffuser une communication politique “invisible” ou opaque.

3) Encadrement radical du ciblage et de la donnée
Le texte introduit une rupture silencieuse mais majeure :
• Ciblage politique à partir de données sensibles = largement interdit
(religion, orientation sexuelle, origine ethnique, opinions politiques, santé, etc.)
• Profilage politique → consentement explicite obligatoire
• Micro-ciblage ultra-granulaire → dans les faits quasi impraticable légalement
Pour les plateformes et les annonceurs, ce n’est pas une simple mise à jour juridique, c’est un changement de modèle.
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Réaction des plateformes : Meta et Google préfèrent sortir du marché plutôt que se conformer
Face au coût de conformité, au risque réglementaire et à l’ambiguïté des frontières de définition, les premières réactions sont sans appel.
Plusieurs médias ont confirmé :
• Meta (Facebook, Instagram) renoncera à diffuser toute publicité politique dans l’UE
• Google a annoncé une stratégie similaire d’arrêt du service de publicité politique
• D’autres acteurs réduisent l’accès transfrontalier à ces services ou suspendent des produits avant 2025
Le message implicite est clair :
Mieux vaut sortir du marché publicitaire politique européen que d’encaisser le risque juridique associé.
Pour l’UE, c’est un succès en termes de maîtrise du risque de manipulation ; pour les partis, ONG, campagnes d’opinion, c’est un séisme opérationnel.
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Conséquences stratégiques pour les acteurs politiques et technologiques
Pour les campagnes politiques et ONG
• Fin de la stratégie d’ultra-ciblage psychographique
• Distorsion de marché : seuls les canaux “organique / earned media” restent fluides
• Complexification du financement et de l’orchestration multi-pays
Pour les éditeurs de solutions logicielles
• Obligation d’intégrer marquage, traçabilité, chaînes d’audit et consentement pour les logiciels utilisant la publicité politique.
• Risque d’exclusion du marché si non-conforme
• Opportunité de créer des solutions “compliance-by-design” à forte valeur ajoutée
Pour la démocratie et le paysage informationnel
• La publicité politique devient plus visible, plus traçable, moins micro-ciblée
• Le débat public redevient mass-média plutôt que segmenté
• Mais la sortie des plateformes augmente le risque de déplacement vers des canaux non-régulés (réseaux privés, hors UE…)